C’est désormais un fait admis : le rôle de la médecine n’est pas simplement de rétablir l’état de santé. C’est aussi de suivre les patients, ponctuels ou chroniques, dans le temps. Cette relation se joue partiellement à distance ; et pour être supportable, elle doit devenir pour le patient la plus naturelle possible. Les objets connectés sont une piste d’avenir. Un chatbot aussi. Mais quid du ressenti du patient ? Comment laisser s’exprimer sa parole de malade – tout en systématisant un suivi à distance, gage d’une meilleure efficacité du système de soin ? L’échange, le dialogue, la « conversation » sont essentiels entre le corps médical et les malades. Et l’Intelligence Artificielle a ici son rôle à jouer.

Dialogue avec Alexis Hernot, fondateur de Calmedica, l’une des startups françaises en pointe sur le sujet de l’Intelligence Artificielle dans le domaine médical.

Calmedica est une solution qui se développe rapidement et convainc de nombreuses institutions de santé aujourd’hui. Elle permet de gérer les parcours de soin et de faire du suivi patient en post-opératoire. Qu’est ce qui la rend si attrayante aux yeux des professionnels et surtout des patients ?

La chirurgie ambulatoire représente clairement l’avenir de l’hôpital car elle répond à une évolution des besoins des différents acteurs. L’hôpital se transforme : ce n’est plus une plateforme d’hébergement mais de plus en plus un plateau technique. La durée de séjour des patients diminue constamment. Deuxièmement, la médecine n’a de cesse de se complexifier : il y a un besoin pour les médecins de passer plus de temps à expliquer et dialoguer avec ses patients. Un chatbot est une bonne solution à ce besoin. Enfin, la médecine devient de plus en plus evidence-based : elle s’appuie sur la donnée pour fournir des solutions tangibles.

En plus de ces trois tendances sectorielles, nous profitons également de la révolution patient-centric. Il y a une réelle motivation chez les patients pour devenir acteurs de leur traitement.  C’est pour eux aussi une garantie d’avoir un suivi plus efficace. Pour les professionnels de la santé, avoir une solution qui permet de suivre les patients en amont et en aval d’une intervention, c’est un nouveau levier pour améliorer le bénéfice des soins, le tout dans une dynamique de productivité et d’efficacité. Pour finir, quelques chiffres : 45% des opérations se font en ambulatoire en France, contre 80% au Danemark. Il existe des réelles marges de progression : passer de 45% à 80%, ce serait 5 milliards d’euros économisés par an.

Calmedica, c’est de l’Intelligence Artificielle greffée sur un canal d’interaction totalement low-tech : le SMS. N’est-ce pas anachronique  ?

Dans le cadre de notre activité, il nous a fallu nous saisir de l’enjeu qu’est la fracture numérique. Aujourd’hui 93% des français ont un téléphone portable, mais pas forcément un smartphone. Le SMS était donc le moyen privilégié pour toucher tous les patients. De plus, le SMS n’est pas particulièrement low-tech. C’est une source de communication très rapide et fiable. Actuellement notre chatbot SMS a suivi 100 000 patients en ambulatoire ; il a été observé une diminution des retards et une hausse de 30% du respect des consignes en post-opératoire.

Lancer une application dédiée aujourd’hui n’est pas forcément judicieux. L’utilisateur se lasse de télécharger des outils dont il va se servir pendant une durée limitée, en l’occurrence le temps de son interaction avec l’univers médical. Pour le dire rapidement, une personne sur deux a un smartphone ; parmi celles-ci seulement 50% téléchargent des apps ; et il n’y a que la moitié de ceux qui en ont téléchargé qui s’en servent ! Pareillement, un site web sur mobile est quelque chose de très déceptif.

Selon nous, l’avenir se joue dans le conversationnel et dans les solutions de chats – pas dans les apps dédiées. Cela est vrai en santé comme ailleurs. Il faut bien comprendre que les applications les plus largement utilisées aujourd’hui sur les téléphones sont des applications de chats : Whatsapp, Messenger, Line, WeChat… C’est sur ces plateformes « universelles » qu’il faut se greffer. Whatsapp par exemple offre également un système de cryptage très intéressant pour récupérer la donnée. Ces applications permettent de dialoguer d’un individu à l’autre, mais elles sont aussi de plus en plus utilisées par des robots. La Société Générale, Auchan, Century 21, la SNCF, parmi de très nombreuses entreprises, les utilisent pour répondre automatiquement aux questions de leurs clients.

Comment fonctionne l’Intelligence Artificielle dans la relation entre un patient et l’univers médical ?

Dans le conversationnel, il y a deux formes d’Intelligence Artificielle qui peuvent être utilisées. La première forme est algorithmique. C’est une technologie avec laquelle il n’y a pas d’incertitude, où on progresse d’une question à l’autre en fonction des réponses déjà données. Elle est construite sous forme de « Si… alors… », à la manière d’un arbre de décision typique. Elle fonctionne donc en système « fermé ». La deuxième forme repose sur du Machine Learning. C’est un système beaucoup plus souple, capable de traiter un panel de requêtes beaucoup plus large. A la base, c’est une technologie apprenante, à laquelle on présente un certain nombre de cas, en définissant des notions de base. En extrayant de l’intelligence des premiers cas étudiés, elle devient de plus en plus fine et est capable d’analyser des situations relativement inédites. Pour cette raison, elle est adaptée à l’interprétation de réponses en langage naturel, données à des questions ouvertes.

Calmedica utilise aujourd’hui ces deux technologies pour gérer les patients, pour des usages différents. La première technologie est utilisée pour suivre le patient à l’occasion d’une intervention en ambulatoire. Dans ce domaine, l’objectif est d’obtenir une information précise, il n’est pas possible de prendre des risques. L’Intelligence Artificielle algorithmique est l’outil qui permet d’avancer en toute certitude, étape par étape. En revanche, certaines de nos solutions visent à échanger avec le patient pour lui apporter de l’information et des conseils (sur sa pathologie, par exemple la dépendance à l’alcool, ou sur les démarches administratives…). On entre donc dans un système ouvert de questions-réponses. Les réponses sont alors interprétées par l’IA. Il existe une petite marge d’erreur, et le rôle du système est de renvoyer vers un professionnel de santé quand une incertitude est détectée – ou quand le patient ne répond pas.

Pour synthétiser la différence entre ces deux solutions conversationnelles, on peut dire que la première est un système « bot-first » : le chatbot est le premier à poser une question, et la suite n’est qu’un affinage par le biais d’un processus de questions-réponses propre à l’algorithmique. La deuxième solution est « patient-first » : elle donne la possibilité au patient de s’exprimer avec beaucoup plus de liberté, d’orienter la discussion sur les sujets qui l’intéressent ou qui l’inquiètent.

La mode est aux chatbots. La première recommandation de nombreuses agences digitales est d’en mettre en place pour renforcer la relation client. Qu’en pensez-vous ?

Aujourd’hui 90% des chatbots sont algorithmiques, et pourtant utilisés dans des contextes de conversation « ouverte ». Autant dire qu’ils ne représentent pas une solution adaptée, et peuvent décevoir rapidement. Le problème, c’est que les agences aujourd’hui n’ont pas la maîtrise du Machine Learning, qui demande de réelles compétences techniques et mathématiques. On est donc encore loin des promesses du discours marketing. Les solutions de chatbot sur étagère n’existent pas réellement.

 Quels sont les vrais défis de l’IA au service du patient ?

Le domaine du médical est un domaine qui devient de plus en plus rationnel, et donc qui bénéficiera largement de l’Intelligence Artificielle. Aujourd’hui, avec le mouvement du Quantified Self, tout est mesuré, et cette donnée va enfin pouvoir être exploitée. Un des problèmes est que le milieu de la santé est trop fragmenté : les organismes sont cloisonnés et la data également, ce qui ne permet pas du tout la gestion optimale des patients. Avec l’IA on va pouvoir proposer un creuset commun des données : on va donner la possibilité aux organismes de développer des plateformes ouvertes beaucoup plus fonctionnelles.

 

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