Le « Beyond the Pill » a bouleversé les modèles des grands acteurs de la pharma, et le digital a créé une déferlante sur les programmes d’accompagnement des patients déjà bien connus dans l’industrie. Quelques acteurs prennent le sujet à bras le corps et misent sur une vision « intégrée » du soin. Pour Gilles Litman, aujourd’hui Vice-Président Virtual Health Care (Digital Health) chez Sanofi, il s’agit moins d’une innovation que d’une poursuite de la mission fondamentale des laboratoires : renforcer l’efficacité des solutions médicamenteuses ou non, proposées aux patients.
Vous avez développé pendant 3 ans le « Integrated Care » chez Sanofi, pour le diabète notamment. Qu’est ce que cela recouvre exactement ?
Pour nous, le « Integrated Care », c’est la combinaison de 4 éléments : le médicament, qui est le cœur de métier des laboratoires pharmaceutiques, leur octroie une légitimité et donc un rôle à jouer dans ce domaine ; les dispositifs médicaux, en particulier connectés ; les services autour du mode de vie, avec des solutions mixtes digitales et humaines, comme des plateformes de coaching autour de la nutrition, de l’activité physique, de la santé mentale… ; et la donnée.
Le diabète est l’un des terrains sur lesquels Sanofi considère que le « Integrated Care » est un levier fondamental. Pourquoi ?
Le diabète pose un énorme problème. Il concerne 450 millions de personnes, et ce nombre croît exponentiellement. Il n’y a pas assez de spécialistes pour les prendre en charge correctement, la moitié des patients ne sont pas à leurs objectifs glycémiques, d’où des complications et des coûts astronomiques, de l’ordre de 700 milliards de dollars dans le monde. Le médicament en représente 10 à 15%, le reste est lié aux hospitalisations, aux co-morbidités ou à l’absentéisme. On a fait beaucoup de progrès, mais ce système n’est ni optimal, ni durable dans le temps.
Il reste que pour un laboratoire pharmaceutique, on est loin du cœur de métier initial : la découverte et la mise à disposition de traitements médicamenteux…
Je dirais plutôt que nous sommes dans sa continuité : notre ambition est d’améliorer la prise en charge du diabète. Nous y travaillons depuis des décennies autour du développement de nouveaux traitements médicamenteux, avec les professionnels de santé, les associations de patients, les systèmes de santé. La seule question pour nous est « Comment aller plus loin ? ». Si on considère que le médicament ne suffit pas à lui seul à remplir notre mission, alors il est naturel pour nous de nous engager dans le « Integrated Care ».
Nous y allons en construisant un portefeuille autour des 4 axes mentionnés, soit en propre, soit en partenariat. Sur les dispositifs, Sanofi est déjà un acteur qui commercialise environ 300 millions de stylos à insuline par an. Nous commercialisons aussi dans quelques pays d’Europe des lecteurs de glycémie. Bien sûr, nous avons besoin de travailler en partenariat sur des sujets comme la connectivité ou le digital. Nous développons par exemple avec Verily et Sensile Medical une pompe à insuline connectée pour les patients diabétiques de type 2.
Sur les services, nous avons créé ou développé une offre digitale autour du support au patient, avec par exemple Mon Glucocompteur ou Diabeo (avec Voluntis et le Ceritd) en France. Sur le suivi du cholestérol et du risque cardio-vasculaire, nous avons aussi lancé Take Care, que nous testons actuellement dans 4 pays européens. Nous avons également réalisé un panorama des offres proposées par des startups, dans le diabète puis le cardiovasculaire, avant de l’élargir à tout ce que l’on peut appeler « qualité de vie ». Ces solutions sont multiples, mais peu d’acteurs réussissent à fidéliser et à créer un véritable engagement dans la durée. Nous avons sélectionné les meilleurs, et lancé des pilotes avec certains d’entre eux.
Sur la donnée, Sanofi a beaucoup investi. Nous l’utilisons pour mieux comprendre la maladie, mais aussi pour accélérer notre R&D.
« Le digital et les nouvelles technologies peuvent apporter une solution complémentaire aux systèmes de soins existants. »
L’industrie toute entière est-elle en train de basculer vers le « Integrated Care » comme vous le faites aujourd’hui ?
La place des laboratoires pharmaceutiques risque d’être bousculée à l’avenir. De plus en plus, les payeurs (publics ou privés) nous demandent de démontrer l’efficacité de nos médicaments. Les laboratoires sont davantage attendus sur des résultats. Dans cette perspective, le « Integrated Care » peut contribuer énormément : il permet de mesurer l’adhérence au traitement, l’impact sur la santé et de partager ces informations avec les patients et les professionnels de santé. On sait qu’une partie des patients mis sous insuline interrompt son traitement au bout de 2 ou 3 mois pour diverses raisons. On sait que la moitié de ceux qui persévèrent ne l’utilisent pas de manière optimale, en n’ajustant pas les doses alors que la maladie évolue. Avec des dispositifs médicaux connectés, on pourrait demain aider le patient à mieux suivre sa glycémie, son utilisation du traitement, et à mieux comprendre le rapport entre les deux.
Gilles Litman – Vice-Président Virtual Health Care (Digital Health) – précédemment en charge des solutions intégrées dans le diabète et les maladies cardiovasculaires. En 20 ans passés chez Sanofi, Gilles a eu des responsabilités opérationnelles et managériales dans plusieurs Business Units, à la fois sur des marchés matures et sur des marchés en développement. Il a en particulier été Directeur Performance & Innovation de Sanofi France de 2014 à 2016. Il est diplômé du MBA de l’ESSEC.
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