En mars 2014, le Dr. Anne Beal était nommée Chief Patient Officer du groupe Sanofi. Depuis, l’initiative s’est multipliée dans plusieurs laboratoires. Sous ce nouveau titre se cache plus qu’une simple fonction : c’est une réelle refonte du schéma de pensée des grands laboratoires. Jusqu’alors cantonnés à une vision très interne du développement de nouvelles molécules et de leur efficacité opérationnelle, ils s’inscrivent désormais dans une démarche « patient-centric ».
Le patient, partenaire-clé des laboratoires et entreprises en santé
Très clairement, cette nouvelle fonction émerge d’une nouvelle donne pour les laboratoires. Habitués à dialoguer avec plusieurs parties prenantes, ils ont vu émerger le « patient power » ces dernières années – facilité par la montée des plateformes et outils web à la disposition du grand public. Plus question d’entretenir la relation uniquement avec les actionnaires, les institutions régulatrices de la santé, ou les médecins prescripteurs. Le patient est devenu un acteur incontournable. Pour plusieurs raisons :
- La voix du patient est aujourd’hui entendue. Négliger ses intérêts (au premier rang desquels celui d’être soigné de la meilleure façon) peut conduire à des remises en cause sévères des laboratoires par les grandes institutions de santé. Les récentes mésaventures de Merck avec le Levothyrox l’ont montré.
- Le patient est un partenaire indispensable de la recherche clinique. Pour qu’il accepte de participer à des essais, la relation de confiance doit être forte. Celle-ci passe par les individus eux-mêmes, ou par les associations de malades qui jouent un rôle essentiel ici.
- L’efficacité des traitements ne dépend pas uniquement de l’efficacité thérapeutique des molécules. Avec les maladies chroniques, elle dépend énormément de leur bonne observance. Aucun laboratoire aujourd’hui ne peut lancer un nouveau produit sans se demander comment il va rendre la prise du médicament plus facile, plus naturelle. Il ne s’agit pas seulement de penser à la forme galénique (gélule, sirop, injection… avec ses corollaires de fréquence par exemple) – ni à la gestion des effets secondaires. Il s’agit aussi de tout cet ensemble de services ou dispositifs qui restent encore à imaginer pour que le médicament s’inscrive aussi naturellement que possible dans la vie du malade. L’innovation en santé, ce n’est plus seulement la molécule ; c’est tout un univers de services associé au soin.
Face à ces enjeux, le rôle du Chief Patient Officer est aujourd’hui fondé sur trois piliers
- L’expression des besoins du patient et leur bonne compréhension, premier niveau de l’ « orientation-client » en santé
La base d’une politique « patient-centric » pour un laboratoire est de développer une réelle proximité avec les patients. Eux seuls permettent une compréhension et une analyse fine des besoins afin de délivrer les solutions adéquates. Se mettre à la place du patient, savoir ce qu’il veut et ce qu’il pense est la pierre angulaire d’une telle méthode. L’objectif pour Anne Beal ? Devenir le Apple de l’industrie, capable d’offrir une réponse globale – et pas simplement en réaction à la demande : bien plutôt en anticipation des attentes, à partir d’une connaissance approfondie et empathique des besoins des patients.
- L’engagement du patient pour une solution durable, un effort constant pour le Chief Patient Officer
Les patients doivent prendre part par exemple aux travaux de recherche et aux études cliniques – mais également au développement des dispositifs d’injection par exemple, ou aux actions de marketing du laboratoire. Et il est important d’engager tous les patients : pas seulement ceux qui sont déjà organisés en communautés autour des associations de malades. Tous les patients, individuellement – par le biais des réseaux sociaux, le recueil et l’utilisation à bon escient de données qui permettent de personnaliser la relation et les traitements. L’objectif ici n’est pas simplement d’utiliser les inputs des patients pour les mettre au service des activités du laboratoire, mais d’aller un cran plus loin : il s’agit de faire du patient le principal acteur de sa santé, en lui rendant le pouvoir et en construisant une relation plus partenariale entre le laboratoire et le malade.
- L’engagement de toute l’entreprise dans une démarche « patient-centric », clé de voûte de la fonction du Chief Patient Officer
Le travail sur la “Patient-centricity” est également un combat culturel à mener en interne. « Patient centricity should not be owned by the Chief Patient Officer or by the Centre of Excellence. It really needs to be owned by everyone”, indique Anne Beal. Pour parvenir aux succès espérés par cette nouvelle approche, il faut que celle-ci soit bien distillée dans l’esprit de toutes les parties prenantes, en diffusant les bonnes pratiques que chacun peut adopter à son niveau. Ceci requiert de construire un cadre de référence pour bien définir la « Patient-centricity », puis de mettre en lumière les expériences pilotes et de connecter les individus qui les portent. Ceci requiert aussi de pouvoir démontrer la valeur ajoutée de la démarche : sans connexion directe avec les objectifs de l’entreprise (développer de meilleurs produits, convaincre davantage de marchés, renforcer sa crédibilité et son pouvoir de négociation auprès des institutions régulatrices, etc.), pas de révolution culturelle dans un univers économique contraint. De même que la valeur de la sécurité ou de la qualité sont reconnues largement dans l’industrie, celle de la “Patient-centricity” doit maintenant être objectivée.
La portée d’une telle orientation est pour le milieu pharmaceutique d’en finir avec le portrait obscur que l’on peut lui attribuer, l’esprit de défiance porté à son égard et le déficit de confiance qu’on lui accorde. Le signe d’une révolution réussie ? Comme l’exprime Anne Beal : « I hope to not have a job within 5 years ». Tout simplement parce que la “Patient-centricity” sera tellement ancrée dans la vision de chacun des acteurs en interne (de la finance à la R&D) qu’il sera inutile de la rappeler…